La Malédiction

Par Delf.

Disclaimer : Les personnages de The Sentinel sont la propriété de leur propriétaire, les événements sont purement fictifs, aucun animal n’a été blessé durant l’écriture de cette histoire, sans colorants ni conservateurs, etc., ne venez pas me faire de procès je suis pauvre et j’ai rien fait de mal, c’est juste pour m’amuser.

Style : Ceci est une fan-fiction de la série The Sentinel, complètement Gen, et qui parle beaucoup du monde spirituel. Il n’y a pas réellement de cross-over avec les séries X Files et Calvin and Hobbes, c’est plutôt un clin d’œil, je n’ai fait qu’emprunter les noms ou fonctions de ces personnages.

Résumé : Chaque nuit, Jim fait des rêves étranges qui l’emmènent dans le monde spirituel des Sentinelles. Mais la vie réelle lui cause bien plus de problèmes, car ses amis sont mis en danger, non seulement par les Fédéraux qui tiennent à découvrir son secret par tous les moyens, mais surtout par un tueur machiavélique et rancunier…

Auteur : Bonjour, moi c’est Delf. Tous les commentaires sont les bienvenus, et vous pouvez me contacter par e-mail à l’adresse suivante : dussydelf@yahoo.fr

Note de l'auteur : Ceci est ma première fanfic, et plus d’un an s’est écoulé entre son premier jet et son point final… J’espère que l’histoire vous plaira, et que vous ne la trouverez pas trop bateau ! Je remercie les membres de la mailing-liste French Sentinel qui ont eu le courage de me lire et la gentillesse de m’encourager !

 

Chapitre 1.

Premier jour.

Jim reconnut le bruit qui s'approchait: un moteur de voiture, une Chrysler qui semblait pressée.

— Voilà Simon, finit-il par annoncer.

Blair sortit de la voiture où il s'était réfugié pour trouver un peu de chaleur et rejoignit son ami.

— Il était temps! Pourquoi est-ce toujours si long de préparer un mandat d'arrêt? Ca fait deux semaines qu'on court après ce type, et quand enfin on le trouve, il faut encore demander l'autorisation de l'attraper, c'est frustrant…

— Je sais, Grand Chef, je sais, mais c'est la procédure, tu devrais avoir l'habitude, lui répondit le détective d'une voix fatiguée. Il avait passé une heure à concentrer son odorat sur le parfum piquant de leur suspect pour le traquer, et sans l'aide de son guide il serait resté dans un zone-out plus d'une fois. L'utilisation intensive de ses sens hyper-développés lui donnait immanquablement la migraine…

— Jim, ça va?

La voix inquiète de son partenaire le fit sourire.

— Ce n'est rien, mais tout ce dont je rêve à cette minute c'est d'une longue nuit de sommeil réparateur…

— Et bien tu vas devoir remettre ça à plus tard, Simon est arrivé.

Sa voiture s'arrêta à côté d'eux et Simon en sortit en sortit en brandissant l'autorisation officielle tant attendue.

— C'est bon, on a le droit de fouiller la propriété. Allons chercher ce Fulkerson.

Les trois hommes entrèrent dans le parc magnifique au fond duquel se dressait une imposante demeure ancienne. Jim savait que leur suspect se trouvait ici, de la même manière qu'il savait que Fulkerson était sur les lieux du meurtre du sénateur Hobbes: grâce à ses sens. Mais il leur avait fallu beaucoup de temps pour réunir suffisamment de preuves contre lui: sans l'insistance de Jim à faire analyser les moindres échantillons, Fulkerson n'aurait jamais été inquiété.

Jim conduisit ses amis directement devant la porte de Fulkerson. Celui-ci ne s'attendait pas du tout à avoir été suivi. Il était simplement assis sur son lit, en train de suivre les informations à la télévision. La journaliste revenait sur l'affaire du meurtre du sénateur, et disait que la police n'avait aucune piste quant à l'identité dé l'assassin. Et Fulkerson souriait: qui irait le soupçonner, lui, le riche fils à papa sans histoire, le freluquet qui cachait ses petits yeux derrière sa frange de cheveux noirs, le désœuvré solitaire qui ne vivait qu'au milieu de ses livres anciens?

Aussi, quand sa porte s'ouvrit violemment, il n'eut que le temps de sursauter et resta sans réaction devant l'homme qui le visait de son revolver.

— Ford Fulkerson, vous êtes en état d'arrestation pour le meurtre de Calvin Hobbes. Vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous… récita Jim en s'approchant de lui.

Ford ne dit d'abord rien, mais ses yeux parlaient d'eux-mêmes. D'un grand étonnement, ils passèrent à la colère. Toute cette colère semblait dirigée contre celui qui avait brisé son plan si parfait:

— C'est vous… c'est vous qui m'avez trouvé… Co… comment avez-vous fait?!

Cette question fit sourire Blair:

— En voilà au moins un qui ne cherche même pas à nier, ça nous change!

— Gardez vos commentaires pour vous, Sandburg, et dégagez le chemin, laissez donc la police faire son travail, grogna Simon en s'écartant pour laisser rentrer les policiers en uniforme qu'il avait emmenés en renfort et qui les avaient suivis de près. Ils saisirent Fulkerson par les épaules pour l'emmener. Mais le criminel résista un instant, le temps de regarder Ellison dans les yeux en souriant méchamment:

— Vous avez été très fort sur ce coup-là, cher inspecteur. Je pensais n'avoir commis aucune erreur. Mais vous ne vous en sortirez pas comme ça. Vous regretterez un jour d'avoir croisé mon chemin.

Comme il restait immobile et que Jim lui rendait son regard sans répondre, Simon intervint:

— Allez, bougez-vous, sortez-moi cet individu d'ici et que ça saute, on ne va pas y passer le week-end!

Les deux policiers semblèrent sortir de leur hébétude et entraînèrent un peu rudement l'homme menotté vers l'extérieur, suivi par leur capitaine qui maugréait contre les nouvelles recrues toujours trop longues à la détente et les arrestations du vendredi soir qui l'obligeaient à retarder son départ à la pêche.

Mais Blair avait l'air soucieux quand il s'approcha de Jim, toujours immobile à l'endroit où il avait laissé Fulkerson aux policiers.

— Jim? Qu'est-ce que tu attends, ça ne va pas? D'habitude, tu les envoie toujours sur les roses quand les prisonniers te menacent des pires vengeances comme dans un mauvais film de série B! Hé, Jim, tu m'entends?

Ce n'est qu'au moment ou Blair posa la main sur son bras que la sentinelle sembla se réveiller.

— Hé là, ne me dis pas que tu étais en train de zoner? Mais qu'est-ce qui t'est arrivé?

Jim esquissa un faible sourire pour répondre.

— Je n'en sais rien, à mon avis c'est juste la fatigue…

— Je pense que tu as raison. Allez, on rentre, le rapport attendra lundi matin. Ce soir, c'est moi qui fait la cuisine, et ensuite on pourra passer tout le week-end à dormir pour se reposer de cette longue enquête!

— … et surtout pour se remettre de ta cuisine étrange.

— C'est ça, moque toi et tu seras privé de dessert! répondit Blair en riant.

La nuit était tombée depuis longtemps sur Cascade quand tout le monde fut rentré chez soi. Tout le monde, sauf un petit homme aux yeux noirs qui souriait au fond de sa cellule en pensant à sa vengeance.

Première nuit.

Jim suivit le plan de Blair à la lettre et alla se coucher dès la fin du repas. Il se sentait épuisé après toutes ces planques et l'utilisation intensive de ses sens. Aussi il ne tarda pas à s'endormir.

Autour de lui s'élevaient des arbres et il entendait toutes sortes de cris d'animaux dans le lointain. La sentinelle ne mit pas longtemps à reconnaître son environnement: il se trouvait dans la jungle. Comme à chaque fois qu'il se retrouvait dans le monde spirituel, ses vêtements étaient ceux qu'il portait au Pérou. Il avança de quelques pas devant lui et s'arrêta quand il reconnut un animal: c'était la panthère noire, son guide spirituel. Jim l'observa attentivement: elle était allongée, le museau sur les pattes, les paupières fermées. Généralement, la panthère essayait toujours de communiquer avec lui. Jim attendit donc, patiemment. Mais la panthère ne bougeait toujours pas et il se sentit de plus en plus mal à l'aise. Elle était vivante, puisqu'il voyait son dos monter et s'abaisser au rythme de sa respiration. C'était donc à lui de faire quelque chose, mais il ne savait pas quoi. Alors il restait immobile, le cœur battant de plus en plus vite.

Un croassement strident le fit sursauter et il se réveilla. Il était de retour dans son lit, en sueur, son cœur martelant sa poitrine à un rythme effréné: comme s'il sortait d'un cauchemar. Pourtant, il ne savait pas ce qui l'avait mis dans un tel état. Et pourquoi avait-il entendu un corbeau? Il n'en avait jamais rencontré dans le monde spirituel.

Jim secoua la tête pour chasser ces pensées et se retourna dans son lit. Ce n'était pas le moment d'échafauder des hypothèses. Il avait avant tout besoin de repos.

— Et puis, c'est le travail de Blair d'analyser les rêves mystiques, ça va sûrement beaucoup lui plaire.

Il ferma les yeux en souriant et s'endormit enfin profondément.

 

Chapitre 2.

Deuxième jour.

C'est une sonnerie qui le réveilla. Sans ouvrir les yeux, Jim tendit la main hors du lit et frappa son réveil à plusieurs reprises. Mais la sonnerie ne s'arrêtait toujours pas. C'est alors qu'il comprit que c'était son téléphone portable qui l'avait réveillé. Il s'assit sur son lit, et tout en se frottant les yeux d'une main pour effacer les dernières brumes du sommeil, il saisit son portable posé sur la table près de lui. 8 heures du matin. Un samedi.

— Qui que vous soyez, j'espère que vous avez une bonne raison de gâcher ma première vraie longue nuit de sommeil depuis longtemps, pensait Ellison quand il décrocha.

— Oui, allô?

— Jim? Il faut que tu fiches le camp d'ici tout de suite, c'est très important!

— … Rafe? C'est toi? Tu pourrais être plus clair, qu'est-ce que c'est que cette histoire?

Ellison était tout à fait réveillé maintenant. Même à travers la communication téléphonique, il pouvait sentir l'angoisse de son collègue. Celui-ci parlait à voix basse, comme pour ne pas être entendu des gens qui l'entouraient, et en augmentant son audition de sentinelle Jim pouvait entendre son cœur qui allait un peu plus vite que d'habitude. Et de la part de Rafe, une telle perte de sang-froid était suffisamment inquiétante pour être prise au sérieux.

— Ecoute, je n'ai pas le temps de tout t'expliquer, mais le FBI est ici, ils ont emmené Banks et sont partis pour te chercher. Il ne faut surtout pas que tu te laisses arrêter avant qu'on n'ait pu régler tout ça!

— Mais… Pourquoi? Pourquoi ont-ils arrêté Simon, et qu'est-ce que j'ai à voir dans cette affaire?

— "Conner m'a expliqué qu'ils avaient découvert tes… heu… pouvoirs, et ils veulent t'emmener à Washington. Ecoute, je n'ai pas tout compris, mais elle m'a demandé de te prévenir, elle n'a pas eu le temps de m'en dire plus, ils sont en train de l'interroger. Jim, je ne sais pas exactement de quoi il retourne, mais ça a l'air grave…

— Ok, merci Rafe, je vais voir ce que je peux faire.

— Bonne chance, Jim.

Quand il raccrocha, Jim était encore sous le choc de ce qu'il venait d'apprendre. Ainsi le FBI avait mené une enquête sur lui, et maintenant ses amis étaient arrêtés… Il ne comprenait pas encore tout, mais il fallait avant tout suivre le conseil de Megan et disparaître.

En quelques instants il était habillé et alla réveiller Blair à l'étage inférieur.

— Debout, Blair, dépêche-toi. On a un gros problème.

D'ordinaire le jeune homme avait du mal à se lever si tôt un jour de repos, mais le ton inquiet de son ami suffit à le ramener à la réalité.

— Que se passe-t-il, Jim?

— Je n'en sais encore rien, mais le FBI est en train d'interroger les gars du commissariat au sujet de mes pouvoirs, et ils vont débarquer ici très bientôt, alors on se tire au plus vite.

— On… s'enfuit?

— Disons qu'on prend un peu le temps de réfléchir avant de s'engager dans des explications officielles. Une objection?

Voir la façon dont un flic justifiait un manquement à la loi le fit sourire, mais Sandburg ne perdit pas une seconde à discuter et se prépara aussi vite que possible.

Dès l'annonce du danger, la sentinelle avait mis tous ses sens en alerte. C'est ainsi qu'il entendit deux voitures s'arrêter en bas de l'immeuble et plusieurs personnes en descendre.

— Ils viennent d'entrer dans le hall. On sort par derrière.

— Tu ne crois pas qu'ils y auront posté quelqu'un?

Jim ouvrit la porte donnant sur l'escalier métallique de l'immeuble.

— Pas encore. Si tous sont arrivés en même temps, il leur faudra un peu plus de temps pour contourner le bâtiment.

Ils refermèrent la porte derrière eux et descendirent les marches quatre à quatre. Quelques instants plus tard, ils étaient entrés dans la première rue derrière leur bâtiment. Au même moment, un agent du FBI, en civil mais armé, se postait au bas des marches que Jim et Blair venaient de quitter. Mais comme ceux-ci étaient déjà loin, il ne put les voir.

Personne ne répondant à ses coups à la porte, l'agent Mulder du FBI enfonça la porte du loft. L'arme au poing, il scrutait attentivement la pièce autour de lui dans l'espoir de découvrir l'homme qu'il était venu interpeller, pendant que les quatre personnes qui l'accompagnaient exploraient le reste du loft. Sans succès. Les trois agents attendirent alors les consignes de leurs superviseurs, Mulder et sa coéquipière Scully.

— Ils sont sans doute absents pour le week-end, on doit pouvoir trouver où ils sont allés.

— Non, Scully, je crois plutôt que quelqu'un a prévenu Ellison de notre arrivée. Sans doute un de ses collègues du commissariat. Il peut être n'importe où à présent!

Jim n'entendit pas la fin de la conversation. Il avait gardé son attention sur les occupants du loft depuis leur départ en catastrophe, mais maintenant la distance était trop grande. Il se refocalisa sur Blair qui le surveillait de près et lui résuma la situation:

— Ils ne nous ont pas vus partir, on est donc tranquilles pur l'instant. Mais impossible de retourner au loft ni au commissariat, on ne peut pas non plus aller chercher une de nos voitures ni aller voir Simon ou qui que ce soit. Ils doivent tout surveiller…

Les yeux de Blair s'illuminèrent soudain quand il fut traversé d'une idée géniale.

— Tu te souviens de Tatiana, cette fille qui bosse au département littérature de l'université?

— Non, Grand Chef, pas question de mêler ta dernière conquête à tout ça. C'est trop risqué de lui faire confiance, et ce serait surtout trop dangereux pour elle. Oublie ça tout de suite.

— Tu n'y es pas du tout, écoute-moi. D'abord, je ne sors plus avec elle depuis un moment, mais là n'est pas le problème. Elle est partie passer quinze jours de vacances à Paris chez sa mère et m'a confié ses clés pour que j'aille arroser ses plantes le soir après les cours. Je n'ai pas eu le cœur de lui refuser ce service…

— On pourrait donc utiliser son appartement un jour ou deux en attendant de trouver une solution…

— Heu, pas exactement. Pour l'instant, elle loue une chambre d'étudiant, et je nous vois mal passer ne serait ce que deux jours dans 10 mètres carrés envahis de ficcus et de bonsaïs…

— Et bien alors, qu'est-ce que tu proposes? demanda Jim, un peu agacé par la manie qu'avait son partenaire de tourner autour du pot même dans les moments les plus graves.

— Je ne pensais pas à son appartement mais à sa voiture. Comme elle ne pouvait pas l'emmener, elle m'en a également confié les clés, en cas de pépin. On peut donc aller où on veut sans attirer l'attention de qui que ce soit!

Jim réfléchit un instant. Ils ne pouvaient aller nulle part en ville car tous les endroits où ils étaient susceptibles de se rendre pouvaient être surveillés. Les gares, les hôtels et les loueurs de voiture laissaient trop d'indices. La solution de Blair était idéale, le FBI n'étant certainement pas au courant de cet arrangement amical. Le côté Casanova de Sandburg leur était finalement d'une grande utilité. Jim sourit et donna son approbation:

— Elle est garée loin d'ici?

Pour ne pas être en reste devant l'ingéniosité de son camarade de fuite, Jim trouva le lieu idéal pour se cacher: la cabane qu'avait loué Simon pour son week-end. Il ne l'utiliserait certainement pas, et omettrait très certainement d'expliquer ses plans pour le week-end aux enquêteurs fédéraux. La cabane au bord du lac était donc louée pour deux jours et personne n'en saurait rien. Rien de plus simple que d'y entrer en forçant une fenêtre, ils n'en étaient plus à une illégalité près, et de s'y installer.

La cabane n'étant pas équipée d'électricité, Jim et Blair se servirent de l'autoradio de la petite voiture pour écouter les nouvelles. On ne parlait pas encore d'eux, mais les informations étaient tout de même intéressantes:

— Le capitaine de la police criminelle de Cascade, Simon Banks, a été aujourd'hui démis de ses fonctions. Une enquête fédérale, commencée il y a de cela plusieurs mois, a révélé qu'il falsifiait ses rapports et dissimulait des informations d'importance capitale dans le but de se protéger et de couvrir ses hommes. L'enquête suit son cours pour démasquer les autres actions frauduleuses qui gangrènent notre police.

Jim était atterré par la nouvelle:

— Je ne comprends pas, Simon est le flic le plus intègre que je connaisse, qu'est-ce qu'ils peuvent bien lui reprocher? Dissimuler des informations capitales?

— N'oublie pas ce que t'a dit Rafe: ils l'accusent certainement d'avoir gardé tes pouvoirs sensoriels secrets. Je trouve pourtant leur sanction plutôt exagérée…

— C'est sans doute pour m'obliger à me rendre. Il savent que Simon est mon ami, et que j'accepterai de les suivre en échange de l'annulation de ce renvoi absurde.

— Ah, c'est vraiment n'importe quoi. S'ils savaient pour toi depuis plusieurs mois, qu'est-ce qui leur a pris de débarquer si soudainement?

— Ils devaient m'observer depuis quelque temps, et ont eu la preuve de leurs soupçons pendant que je traquais Fulkerson. J'imagine que je n'ai pas été très discret. Ils sont immédiatement allés me chercher au commissariat, sans savoir que j'avais pris ma journée à la fin de l'enquête.

— Quels bourrins ces feds. Il y avait plus simple et plus efficace comme méthode que de foncer dans le tas dès qu'ils ont les preuves!

— Ne te plains pas, c'est ce qui nous a permis de nous échapper.

— Je ne me plains pas… mais qu'est-ce qu'on va faire maintenant? On a perdu énormément de temps à éviter les barrages routiers, même si tu pouvais les repérer de loin, et plus on perd de temps, plus nos amis auront de problèmes.

— Je sais tout ça, Grand Chef, je sais. Mais je ne vois pas comment nier la vérité, surtout s'ils ont des preuves que j'utilise mes sens de façon anormale. Il va sans doute falloir que je me rende. De toute façon, je n'ai rien fait de mal, qu'est-ce que je risque?

— Tu risques d'être étudié génétiquement dans un laboratoire top secret du gouvernement par des scientifiques beaucoup moins sympa que moi qui te feront passer des tests toute la journée.

— Argh.

— Comme tu dis.

— En tout cas, je ne peux pas les laisser s'en prendre à la carrière de Simon pour mon confort personnel. J'irai les voir demain. A moins qu'on ne trouve un plan génial pour nous tirer d'affaire…

Blair avait l'air dubitatif. Il n'arrivait pas à accepter l'idée que leur secret était brisé et que son sujet d'étude mais surtout ami allait être emmené et étudié comme une anomalie de la nature, mais il ne voyait pas de solution.

— Sans savoir ce qu'ils ont comme preuves et ce qu'ils se contentent de supposer, on aura du mal à les contrer, se désola l'anthropologue. Mais je suis sûr que Simon, Megan et les autres vont tout faire pour résoudre ce problème!

— Espérons-le. Demain matin je descendrai en ville pour que le portable fonctionne, Simon ou Megan auront certainement appelé. Sinon, je retournerai à Cascade.

— Non! Je suis certain qu'on va trouver un autre moyen! Laisse moi le temps de trouver une explication plausible à leur fournir pour tout expliquer et ils te laisseront tranquille!

— On verra…

Deuxième nuit.

Jim pensait qu'il ne pourrait pas dormir cette nuit à cause des derniers événements. Mais voir Sandburg endormi dans le lit qu'il s'était choisi lui fit sentir toute la fatigue qu'il avait besoin d'évacuer. Il se força à fermer les yeux et à se calmer grâce aux exercices de respiration que lui avait enseignés son guide, et avant même de s'en rendre compte…

… il se retrouva à nouveau dans la jungle. Encore une visite du monde spirituel pendant son sommeil. Il se rendit alors compte qu'il avait complètement oublié d'en parler à Blair.

— Peut-être que ce rêve voulait me prévenir de ce qui allait se produire. Peut-être vais-je trouver une solution grâce à mon animal spirituel…

Même en pensant cela, Jim ne débordait pas d'optimisme. Il voyait mal ce qu'il pourrait apprendre dans un rêve. Mais malgré son caractère pragmatique, il avait appris à accepter ses visions du monde spirituel, après tout c'était grâce à l'une d'elle qu'il avait pu sauver la vie de Blair un jour près d'une fontaine. Il observait donc attentivement tout ce qui se passait autour de lui. Si Incacha ne venait pas lui parler, il pourrait toujours tenter de comprendre ses visions avec l'aide de Blair le lendemain.

En attendant, il était revenu au même endroit que la dernière fois: la panthère était toujours là, allongée et immobile. Il s'approcha doucement et s'accroupit à côté d'elle. L'animal ne réagit pas et continuait de dormir paisiblement. Jim était à la fois intrigué et agacé par cette indifférence: venir dans le monde spirituel pour regarder son guide spirituel dormir était une vraie perte de temps, et ça ne l'aiderait pas à résoudre ses problèmes! Il tendit donc la main doucement vers le museau de la panthère pour essayer de la réveiller…

Mais son geste fut interrompu quand un oiseau surgit juste devant lui. Pendant un court instant Jim ne vit que des plumes noires qui battaient devant ses yeux et il ressentit soudain une vive douleur à la main. L'oiseau l'avait violemment pincé avec son bec. Ellison recula instinctivement et se retrouva assis au sol en train de regarder un filet de sang couler le long de sa main. Entre lui et sa panthère se tenait maintenant debout un corbeau.

L'oiseau le regardait fixement, semblant déterminé à l'attaquer encore à la moindre occasion. Jim se demandait ce qu'il devait faire. Dans le monde réel, il ne se laisserait pas embêter une seconde de plus par un oiseau de mauvais augure, mais ici il n'était pas dans le monde réel, et il devait essayer de comprendre le sens de tout ceci avant d'agir. Le corbeau l'avait-il attaqué par méchanceté ou pour le prévenir que toucher la panthère était dangereux? La sentinelle ne savait plus du tout que penser.

Un nouveau bruit le sortit de ses pensées. Il entendait un animal entre les arbres. Un animal à quatre pattes, qui courait, et qui s'approchait. Jim se releva pour voir le nouvel arrivant. Il ne pouvait s'empêcher d'espérer reconnaître enfin un symbole connu, tellement il se sentait perdu dans ce rêve étrange. Peut-être une autre panthère noire, mais celle-là bien réveillée? Ou le loup qui représentait Blair? Même retrouver le jaguar d'Alex serait préférable à ce total non-sens. L'animal n'était plus qu'à quelques mètres.

 

Chapitre 3.

Troisième jour.

Jim n'eut pas le temps d'aller au bout de sa vision car l'approche d'un véhicule le réveilla soudainement. Tout en sortant de son lit, il s'aperçut que le soleil était déjà levé. Il avait finalement dormi, et même longtemps, ce qui l'étonna un peu. Il eut à peine le temps de réveiller Blair que le 4x4 qu'il avait entendu s'engagea dans le sentier menant à la cabane. Il devenait impossible de s'enfuir.

— Jim? Qu'est-ce qu'on fait si c'est le FBI qui vient nous chercher? demanda Blair qui s'était approché de la fenêtre et voyait à son tour la voiture qui venait vers eux.

— On ne fait rien. On n'est pas censés savoir qu'ils nous cherchaient. De toute façon, j'avais décidé de rentrer à Cascade, alors ça revient au même.

Jim semblait résigné, mais il était également décidé à défendre ses amis: ni Blair, ni Simon, ni qui que ce soit d'autre ne devait avoir d'ennuis à cause de lui. Il ferait tout ce qui lui serait possible pour que Simon retrouve son poste.

La voiture s'arrêta devant la cabane. Blair sursauta quand ses occupants en descendirent:

— Mais c'est Simon! s'exclama-t-il en allant ouvrir la porte.

Banks était venu avec un homme que ni Jim ni Blair n'avaient jamais vu. Il était assez grand, plutôt jeune, et portait un long imperméable. Dès que Jim et Blair furent sortis de la cabane pour les accueillir, il prit la parole avant même qu'ils puissent échanger le moindre mot avec Simon:

— Agent Mulder, du FBI, dit-il en guise de présentation, tout en leur montrant brièvement sa carte officielle. Jim reconnut la voix d'un de ceux qui avaient investi le loft après leur départ précipité.

— Vous êtes bien James Ellison et Blair Sandburg?

— Oui, c'est bien nous, lui répondit Jim tout en lui rendant son regard scrutateur.

— Nous avons besoin de vous. Fulkerson s'est évadé ce matin.

— Quoi? s'exclama Blair. Mais ce n'est pas possible, comment a-t-il fait?

— Ca, nous n'en savons fichtre rien. Simon commença à leur expliquer la situation. Aucun des policiers de garde près des cellules ne se souvient de quoi que ce soit, ils n'ont aucun souvenir de ce qui s'est passé entre 7 heures et 7 heures 20 du matin. Toujours est-il que sa cellule était vide, et on n'a vu personne quitter le bâtiment. Personne n'y comprend rien.

— Il les a peut-être tous hypnotisés, je n'ai encore jamais rencontré un cas tel que celui-ci depuis Tooms… Mulder, les yeux dans le vague, semblait passionné par cette disparition inexpliquée. Simon l'ignora et continua son récit:

— Toujours est-il qu'il a laissé un message: 'Amuse-toi bien Ellison'. On a immédiatement essayé de te joindre, et lorsque ces messieurs du FBI ont finalement décidé de me mettre au courant, je leur ai suggéré l'idée que vous aviez pu venir me voir ici…

Le regard que le fédéral échangea avec Simon pendant quelques instants en disait long sur ce que chacun reprochait à l'autre, mais l'affaire de la dissimulation des pouvoirs d'Ellison devait pour l'instant passer au second plan, et les deux hommes le savaient. Pour le moment, Simon était rétabli dans ses fonctions le temps de retrouver son prisonnier évadé, le FBI avait retrouvé la sentinelle qu'il avait perdu la veille, et ils devaient se contenter de cela.

L'agent du FBI termina de mettre l'inspecteur au courant de l'affaire dont il était encore responsable:

— Votre rapport n'étant pas encore disponible, vous êtes le seul à connaître suffisamment l'affaire Fulkerson, nous avons donc besoin de vous pour retrouver ce criminel. D'autre part, vous êtes impliqué à cause du message de défi qu'il a laissé, vous serez donc sans doute le plus qualifié pour traiter avec lui si la situation le nécessite. Je dois pourtant vous prévenir que vous êtes sous le coup d'une assignation fédérale, aussi vous devrez me suivre dès la fin de cette enquête, est-ce bien clair inspecteur Ellison?

Jim n'envisagea même pas de feindre l'étonnement. Il n'en avait pas le temps, et de toute façon il avait pris la décision d'affronter cette épreuve et non de fuir:

— Sinon vous vous attaquerez encore abusivement au capitaine Banks, c'est bien ça? continua-t-il d'un ton sarcastique.

Comme Mulder ne réagissait pas et continuait à le fixer gravement, Jim décida de ne pas se lancer dans une discussion à ce sujet. Lui aussi savait que la priorité était de retrouver l'assassin en cavale.

— Ne vous inquiétez pas, je ne vous causerai pas de problèmes, mais nous verrons cela plus tard. J'ai une recherche à commencer.

— Elle est déjà commencée, l'interrompit Simon. J'ai mis Brown, Rafe et Conner sur le coup. Nous ne devons pas laisser le temps aux journalistes de médire à nouveau sur l'efficacité de la police.

— Très bien, allons-y alors.

Simon et l'agent remontèrent dans leur véhicule pendant que les deux autres allaient chercher leurs quelques affaires dans la cabane.

— Jim, il va falloir faire très attention, ce gars du FBI va nous suivre partout et nous ne savons toujours pas ce qu'il te veut. Il aurait d'ailleurs dû te le dire, non?

— Apparemment cette affaire est reportée à plus tard, ça ne doit donc pas être si important… Enfin, nous verrons bien.

Blair ne répondit pas et s'installa sur le siège du passager. Jim démarra et les deux voitures commencèrent leur descente vers la ville. Il décida de ne pas s'étonner du silence inhabituel de son ami: après tout, ils étaient dans une situation assez critique. Beaucoup de gens avaient percé leur secret, mais jamais cela n'était remonté si haut, et Blair se demandait sans doute ce qui lui arriverait à présent. Ce qui leur arriverait. Oui, il s'inquiétait à coup sûr bien plus pour son ami que pour lui-même. Jim eut envie de le rassurer et de lui conseiller de faire comme lui, se concentrer sur le problème présent. Il tourna la tête vers Sandburg pour le lui dire, mais en le regardant il eut une sensation très étrange: bien qu'il ne fut qu'à quelques centimètres, il avait l'impression que son ami était en réalité très loin de lui, et qu'il n'arriverait pas à lui parler car il n'était pas réellement là.

Blair s'aperçut rapidement que quelque chose clochait. Il vit sa sentinelle dans un état de zone-out et immédiatement se mit à claquer des doigts devant son visage en l'appelant.

— Hey, Jim, concentre-toi plutôt sur la route, tu vas nous faire avoir un accident!

Jim réalisa soudain que c'était vrai et effaça ses sensations étranges en quelques clignements des yeux.

— Mais enfin, Jim, qu'est-ce qui t'est arrivé? lui demanda son guide, inquiet.

— Et bien… c'est très étrange… je ne sais pas trop comment expliquer ça…

— Raconte-moi calmement tout ce que tu as vu ou ressenti, mais surtout essaie de ne pas envoyer la voiture dans le décor, ok? Je te rappelle que cette caisse n'est pas un de tes engins que tu as l'habitude de détruire régulièrement, c'est la voiture de ma copine!

— T'inquiète pas… la dernière phrase lui avait redonné le sourire, mais il redevint sérieux rapidement. Ce qui vient de m'arriver à l'instant n'est pas la seule chose que je doive te raconter. Il y a aussi ces… rêves que je fais.

— Des rêves? Tu veux dire, des rêves prémonitoires? Ou des visions mystiques? Endormi ou éveillé? Depuis quand ça t'arrive, pourquoi tu ne m'en as pas encore parlé? Qu'est-ce que tu y vois? Où est-ce que j'ai mis mon carnet, il faut que je prenne des notes…

— Oh là, oh là, du calme Grand Chef! Je n'avais pas encore pu t'en parler à cause de tout ce qui nous arrive, et c'est peut-être lié d'ailleurs.

Il n'eut pas le temps de s'expliquer davantage car son téléphone se mit à sonner. Blair interrompit les recherches de son carnet au fond de son sac pour essayer de suivre la conversation.

— A peine revient-on à la civilisation que ses inventions nous agressent, maugréa-t-il.

— Ellison, fit Jim dès qu'il eut décroché.

— Jim, c'est Simon. Brown vient de m'appeler, on va tout de suite à l'hôpital de Cascade.

— Quoi? Mais que s'est-il passé?

Jim entendit son correspondant prendre sa respiration et pousser un grand soupir. La nouvelle devait être difficile à annoncer. Il aurait aimé que Simon soit en face de lui mais il ne pouvait pas le regarder dans les yeux puisqu'il était dans l'autre voiture.

— C'est Megan, finit par annoncer le capitaine. Je n'ai pas encore de détails, mais il semblerait qu'elle soit très gravement blessée. Brown et Rafe sont à l'hôpital pour attendre des nouvelles et ils m'ont prévenu dès que la communication a pu être établie. Je vais aller les rejoindre.

— On t'accompagne, évidemment. Tu ne sais pas comment c'est arrivé ou comment elle va?

— Non, je ne sais rien de plus. A plus tard.

Et il coupa la conversation. Jim commençait à peine à reposer son portable que Blair l'assaillit de questions:

— Qu'est-ce qui se passe, Jim, ça a l'air grave… de qui parliez-vous?

Encore sous le choc, Ellison ne savait pas s'il éprouvait de l'angoisse pour sa collègue ou de la colère de n'avoir pas été là.

— C'est Megan. Elle a pris ma place pour rechercher mon prisonnier et maintenant elle est gravement blessée et à l'hôpital.

Il serrait le volant un peu trop fort et accélérait pour arriver au plus tôt. La voiture qui les précédait prit également de la vitesse, sans doute sur la demande de Simon. Blair mit un moment à réaliser ce qu'il venait d'apprendre:

— Est-ce que c'est vraiment… grave?

— Je n'en sais rien.

— Non. Je suis sûr qu'il n'y a pas à s'inquiéter… Megan est très forte, elle peut se sortir de toutes les situations… Blair comprit seulement à cet instant là ce qui mettait son ami dans une telle colère. Ce n'est pas ta faute, Jim. Rien ne dit que son accident a quelque chose à voir avec le travail, et de toute façon, il ne s'agit plus de notre enquête sur un meurtrier mais d'une poursuite de prisonnier évadé, elle en aurait été chargée même si tu avais été là!

— Peut-être, mais j'aurais été là justement. Et peut-être ne serait-elle pas blessée à l'heure qu'il est.

— Tu n'en sais rien! Ce n'est pas la peine de t'en vouloir alors que tu ne sais même pas ce qui s'est passé! Essaie plutôt de penser à Megan, elle va avoir besoin de notre soutien, pas de culpabilité.

Jim ne répondit pas. Ils étaient arrivés et il se gara juste à côté de la voiture du FBI. Simon se dirigeait déjà vers la porte d'entrée. Tous les deux le suivirent le plus rapidement possible, pendant que l'agent Mulder restait adossé à sa voiture. Il semblait en grande conversation au téléphone, mais Jim avait autre chose en tête que de penser à espionner celui qui voulait l'arrêter.

Ils étaient à présent dans le hall d'accueil des urgences de Cascade. Un endroit qu'ils connaissaient tous très bien. Trop bien. Combien de fois était-il venu ici prendre des nouvelles d'un camarade blessé en service? Combien de fois s'était-il agi d'un de ses amis, et de son meilleur ami Blair qu'il entraînait dans des situations dangereuses? Aujourd'hui, c'était Megan qui était entre les mains des docteurs, et il voulait savoir comment elle allait. Brown et Rafe étaient en train de remercier un médecin qui repartit vers les salles d'opération, ils venaient donc certainement d'avoir des nouvelles. Jim, Blair et Simon marchèrent dans leur direction, mais ils étaient extrêmement inquiets quand ils virent Rafe mettre une main sur ses yeux et baisser la tête tandis que Brown lui passait un bras autour des épaules en disant:

— Ca va aller, je suis sûr qu'elle va s'en sortir, je suis sûr qu'elle va s'en sortir…

Les trois nouveaux arrivants les entourèrent aussitôt. Pendant que Blair s'approcha de Rafe qui semblait le plus touché et posa une main sur son bras pour essayer de le consoler, Simon demanda des explications à Brown.

— Je vais tout vous raconter, capitaine, mais je pense qu'il vaudrait mieux aller s'asseoir d'abord.

Et en disant cela, il commença à entraîner le groupe vers la salle d'attente. Jim demanda rapidement:

— On ne peut pas aller la voir, plutôt?

Rafe qui arrivait peu à peu à se reprendre lui répondit:

— Les médecins doivent encore s'occuper d'elle, mais ils nous préviendront dès qu'ils auront terminé. On a encore quelques heures à attendre.

Ils s'installèrent tous dans la salle d'attente, Jim remarquant mentalement qu'il en avait déjà essayé tous les sièges, et les deux policiers commencèrent leur récit.

Quand Simon avait été informé de l'évasion, il avait décidé de mettre sa meilleure équipe sur le coup, et en l'absence de Jim et Blair il s'agissait de Brown et Rafe. Mais Megan qui était présente au poste au même moment était venue le voir pour protester de se voir écartée, et comme il refusait de la laisser travailler en solo sur une enquête qui pouvait se révéler dangereuse, il lui avait permis de rejoindre les deux autres inspecteurs qui étaient déjà partis au domicile de Fulkerson. Bien évidemment, l'Australienne n'en avait fait qu'à sa tête et avait pensé que partir tout de suite sur une autre piste multiplierait leurs chances de retrouver leur homme. Des barrages routiers et une surveillance aux gares et aéroport de la ville étant déjà en place, la police envisageait que l'évadé se trouvait encore en ville. Sa disparition avait en effet été signalée presque aussitôt, puisque des gardiens étaient passés devant sa cellule à quelques minutes d'intervalle, et que la deuxième fois il n'y était plus. Avant de savoir comment cela était possible - sans doute à l'aide d'une complicité intérieure, pensait-on, mais même cette théorie laissait beaucoup d'inconnues dans la réalisation de cette grande évasion - il importait de rattraper au plus vite l'assassin.

Brown et Rafe ne trouvèrent rien d'intéressant dans la grande propriété qu'occupait Fulkerson avant son arrestation. Ils décidèrent donc d'aller chercher du côté du seul autre endroit qu'ils savaient, par ce que Jim leur avait raconté au cours de son enquête, être fréquenté par le criminel. Il s'agissait d'un magasin, où l'on pouvait trouver à la fois des antiquités, des livres anciens dont Fulkerson semblait raffoler à en croire la taille de sa bibliothèque, mais aussi des objets plus hétéroclites destinés aux amateurs de voyance, de sorcellerie et de décorations morbides. Un environnement glauque que cet homme étrange semblait apprécier.

Lorsqu'ils arrivèrent sur les lieux, ils furent surpris, mais pas tant que ça en fait, de reconnaître la voiture de Conner rangée devant l'entrée. On était dimanche, aussi la boutique, dont l'enseigne représentait un vieux livre relié portant en lettres dorées sur la couverture le nom du magasin - Librairie de la Crypte -, était fermée et vide. Ils décidèrent d'aller voir s'il n'y avait pas une autre entrée à l'arrière, puisque apparemment Megan s'était chargée de l'entrée principale. Ils trouvèrent effectivement une porte de service donnant sur la cour arrière, et furent tout de suite alarmés par la fumée noire qui s'échappait sous la porte. Brown appela aussitôt les pompiers, tandis que Rafe composait le numéro de Conner. Celle-ci décrocha au bot de quelques sonneries mais ne dit rien. Rafe fut surpris, et cessa d'interpeller un correspondant muet pour écouter. Il crut reconnaître le bruit d'un crépitement de flammes et se mit à crier:

— Elle est là, elle est là-dedans!"

Sans réfléchir plus longtemps, il détruisit la serrure de la porte d'un coup de revolver, et malgré les avertissements de son coéquipier qui lui conseillait d'attendre l'intervention des pompiers dont ils entendaient déjà les sirènes dans la rue principale, il ouvrit la porte en grand. L'air frais raviva les flammes qui dévoraient la pièce et il fut obligé de reculer. Dans le même temps, les pompiers qui étaient passés par l'entrée principale avaient réussi à ouvrir la porte intérieure conduisant à la pièce incendiée et commençaient à projeter la mousse carbonique qui recouvrait peu à peu le feu.

Soudain, Brown vit Rafe se ruer dans les flammes. Il avait aperçu une forme allongée au sol. Brown essayait de rappeler son ami dont il ne distinguait déjà plus que la silhouette à travers les flammes, quand il fut rejoint par quelques-uns des pompiers qui avaient fait le tour du bâtiment afin d'attaquer le foyer par deux endroits à la fois.

— Il y a quelqu'un à l'intérieur! Deux personnes! Il faut aller les chercher tout de suite! leur dit-il sans même s'apercevoir qu'il criait.

Dans la fournaise, Rafe n'arrivait pas à avancer. Il toussait et la fumée lui irritait les yeux, mais c'était surtout la vue de Conner, allongée inconsciente face contre terre qui lui était insupportable. Elle était entourée de murs de flammes, et ses vêtements étaient aussi en feu. Dans sa main droite, elle tenait encore son téléphone portable. Elle avait dû perdre conscience peu de temps après avoir décroché, à cause de toute la fumée qu'elle avait respiré. Lorsqu'il vit les cheveux bouclés de son amie commencer à s'enflammer, Rafe crut devenir fou de ne pas pouvoir avancer vers elle pour l'aider. Après tout, il valait peut-être mieux pour elle qu'elle soit inconsciente…

Il vit un homme en combinaison ignifugée passer à côté de lui et se diriger vers Megan, tandis que quelqu'un le tirait en arrière vers la sortie. Il se retrouva à nouveau dans la petite cour. La jeune femme qui l'avait aidé à sortir souleva son masque pour lui demander si tout allait bien. Le temps de respirer quelques goulées d'air frais et de se débarrasser de son imperméable qui sentait le roussi, il la rassura, et elle retourna aider son collègue qui sortait de l'immeuble, portant dans ses bras un corps protégé d'une couverture résistante au feu. Brown lança un regard inquiet et interrogateur à son partenaire, n'osant pas formuler sa question.

— C'est Megan. Oh mon dieu, c'est Megan. Ses cheveux brûlaient… Rafe n'arrivait pas à dire autre chose.

Horrifié, Brown prévint immédiatement le central, puis il courut vers les ambulanciers qui, par chance, étaient arrivés en un temps record. Ceux-ci ne voulurent rien lui dire sur l'état de la victime et refusèrent de laisser quiconque les accompagner à bord de l'ambulance. Il pensa alors prévenir les amis les plus proches de Megan, puisqu'elle n'avait pas de famille en Amérique. Mais ni Jim, ni Simon, ni Blair ne répondaient. Il décida de réessayer régulièrement de les joindre.

Brown et Rafe se rendirent alors à l'hôpital où ils attendirent plus d'une heure avant que quelqu'un ne vienne les informer, peu avant l'arrivée des trois autres. Brûlures au troisième degré sur plus de 70% du corps, brûlure des poumons par la fumée. Il était possible qu'elle s'en sorte, mais les séquelles seraient irréversibles.

Dans la salle d'attente, c'était le silence. Tout le monde était sous le choc. C'était Megan, la jeune femme pleine de vie qui était devenue leur amie, qui était dans un état critique et risquait de mourir. Ils restèrent là pendant un temps qui leur parut infini. Jim serrait les poings en essayant d'écouter ce qui se passait dans l'hôpital dont l'accès leur était refusé, mais il ne parvenait pas à trouver Megan parmi tous les docteurs et patients qu'il entendait. Blair était assis à côté de lui, il avait remonté les genoux sous son menton, les entourant de ses bras, et fermait les yeux. On pourrait croire qu'il dormait ou essayait de réfléchir, mais Jim savait qu'il essayait surtout de retenir ses larmes. Il était devenu très proche de Megan et était mort d'angoisse à son sujet. Brown était sorti, il avait besoin de s'occuper et avait décidé de prendre à sa charge de rechercher et prévenir la famille Conner en Australie. Rafe ne cessait de passer ses mains sur ses paupières fermées, comme pour effacer l'image qu'il avait constamment devant les yeux de Megan en train de brûler derrière un mur de flammes infranchissable. Quant à Simon, il ne cessait de faire des aller-retour, vers le bureau d'accueil pour demander à rencontrer des docteurs au courant de l'état de son inspectrice favorite, et vers le parking pour griller des cigares qu'il ne savourait pas mais qui étaient censés le calmer.

Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi avant que le médecin qui avait déjà parlé à Rafe et Brown ne vienne les voir. Ils avaient fait tout leur possible, et la vie de Megan était sauvée. Mais elle devait encore rester sous respirateur à cause de la fragilité de ses poumons, et il fallait attendre plusieurs semaines avant qu'on ne puisse tenter des greffes de peau. Mais même après, elle ne retrouverait jamais les mêmes capacités et garderait des cicatrices. Ils avaient le droit d'aller la voir mais devaient être très diplomates avec elle, et ne rester que quelques minutes.

L'élite de la police de Cascade se retrouva donc dans une petite chambre d'hôpital, et personne ne savait que faire ou que dire devant le spectacle qui s'offrait à eux. Sous un drap blanc était allongée une momie, les bandages ne laissant apparaître que des paupières rougies et fermées, et une bouche aux lèvres craquelées sous un masque de plastique transparent. Un tube reliait son bras à une poche de liquide suspendue au-dessus d’elle, qui d'après le médecin contenait de la morphine pour l'aider à supporter la douleur. Blair réagit le premier et s'approcha du lit, se retenant d'essayer de prendre la main de la jeune femme pour ne pas la faire souffrir inutilement:

— Megan… commença-t-il doucement.

Sa voix était ferme, bien qu'étouffée par la présence du masque et le fait que bouger ses lèvres était encore douloureux. L'infirmière qui s'occupait de Megan les regarda tour à tour et leur chuchota:

— Vous devriez la laisser se reposer, elle est encore sous le choc, vous comprenez...

Simon acquiesça:

— Nous sommes désolés. Prévenez-moi si... enfin, tenez-moi au courant s'il vous plaît.

Les hommes sortirent silencieusement, ils comprenaient que leur amie souffrait beaucoup et qu'il faudrait encore un moment avant qu'elle soit en état d'entendre la moindre parole amie. Jim avait passé un bras autour des épaules de Blair, bien qu'il se sente incapable de soulager sa peine tellement il en souffrait lui-même. Et si ça avait Blair qui s'était retrouvé sur ce lit, dans ces bandages?

Inconsciemment Jim serra un peu plus fort son ami: non, impossible, il était son protecteur et ne laisserait jamais une chose pareille se produire. Comme s'il avait compris les pensées de son ami, Blair leva les yeux vers lui et tenta un maigre sourire. Jim prit sa décision en quelques secondes:

— Simon, je retourne là-bas. Il doit y avoir moyen de trouver qui a fait ça, ou si c'est un accident. Je vais aussi aller interroger le propriétaire du local où Megan a... enquêté.

Les autres policiers semblèrent se ranimer aux paroles de Jim. Rafe lui répondit:

— Non, Ellison, je peux me charger de ce mec, Répartissons-nous les tâches, nous n'en serons que plus efficaces.

Simon donna à chacun ses ordres, et tous se séparèrent pour retourner sur le terrain. C'était leur métier, et le travail permet d'oublier ses soucis. Mais c'était surtout le meilleur moyen pour eux de venger l'un des leurs, à défaut de pouvoir aider autrement leur amie.

Troisième nuit.

Le propriétaire de la librairie incendiée était leur suspect numéro un. L'interrogatoire n'avait rien donné, et tout portait à croire qu'il était réellement innocent pour l'incendie. Mais Jim ne lui faisait pas confiance. Après tout, Fulkerson avait pu avoir accès à son magasin et mettre le feu lui-même, ou bien il pourrait essayer de le contacter pour lui demander de l'aide. C'était leur seule piste.

Jim et Blair étaient en planque devant son domicile depuis plusieurs heures. Ils espéraient un appel, voire une visite, de l'évadé, mais toujours rien. Jim se sentait à bout de forces, et Blair le remarqua:

— Tu n'a qu'à dormir un peu, mon grand, je te réveille si je vois quoi que ce soit.

Et, devançant les arguments de sa sentinelle:

— Je sais que tes sens nous seraient utiles pour une telle opération de surveillance, mais si tu continues dans cet état, tu ne va pas être efficace bien longtemps.

Jim n'avait même pas la force de protester, et c'est cela plus qu'autre chose qui le convainquit qu'il avait besoin de repos.

— Ok, Grand Chef, mais ne me laisse pas trop dormir, trois heures maximum, et si tu fatigues réveilles moi avant.

En disant cela il se cala confortablement sur son siège, et s'endormit si vite qu'il n'entendit même pas la réponse de son guide.

Il était à la même place que dans ses rêves précédents, près de sa panthère endormie, le corbeau posé devant elle et le regardant méchamment. Avec l'histoire de Megan, il n'avait pas pu finir de parler de ses rêves à Blair, et lui-même n'avait pas pu réfléchir au sens à donner à tout ça. Il réalisa soudain qu'il entendait toujours le même bruit dans la forêt: un animal qui se rapproche. Il n'eut pas à attendre longtemps pour le voir apparaître: un grand loup gris surgit d'entre les arbres, et vint en courant, tous crocs dehors, vers le corbeau. Il tenta de le saisir, mais l'oiseau de mauvais augure s'envola en croassant, et la gueule du loup ne se referma que sur quelques plumes. Il suivit l'oiseau des yeux en grognant, mais celui-ci avait déjà rejoint la sécurité des hautes branches.

— Ce loup, c'est l'esprit animal de Blair, je le reconnais. Mais que vient-il faire là? Ca devient de plus en plus compliqué...

Jim observait la scène sans intervenir, essayant de comprendre la symbolique de ce tableau mystique. Mais le loup l'ignora complètement, et abandonnant son idée de croquer le corbeau, il s'avança vers la panthère, toujours aussi endormie. Du bout du museau, il secoua le félin, mais rien ne parvenait à le réveiller. Le loup s'allongea devant lui, le museau entre les pattes, et se mit à couiner, essayant de temps à autre par des petits coups de museau de le faire réagir.

Jim se sentait bouleversé par cette scène et fit quelques pas en direction des animaux. Le corbeau se mit à croasser frénétiquement, mais la sentinelle l'ignora et s'agenouilla près du loup. Celui-ci se redressa et lui fit face. Il se mit à le regarder intensément de ses yeux intelligents. Puis le loup recula de quelques pas, et détourna le regard vers la panthère allongée.

Jim ne comprenait pas ce qui se passait, et bien qu'il soit dans un monde irréel, il se mit à avoir peur. Très peur.

 

Chapitre 4.

Quatrième jour.

Tellement peur qu'il se réveilla, en sueur. Il mit quelques secondes à réaliser qu'il était assis dans sa voiture.

— Hey, Jim, ça va? T'as fait un cauchemar ou quoi?

Blair inquiet lui faisait face, il avait posé les mains sur ses épaules pour le calmer et essayait de le regarder dans les yeux. Jim reprit le contrôle de lui-même et rendit son regard à son guide.

— En quelque sorte, Grand Chef. Je crois que c'est important, il faut que je te raconte...

Il n'eut pas le temps de poursuivre car leur suspect sortait de chez lui pour monter dans sa voiture.

— Zut, je dormais, on ne peut pas savoir s'il a reçu un appel de Fulkerson ou non! grommela l'inspecteur en se préparant à démarrer.

— Ce n'est pas grave, Jim, il suffit de le suivre et on le saura.

Le duo s'engagea dans une filature discrète, d'autant plus facile que leur homme ne semblait pas très méfiant et ne faisait rien pour être discret. Il arriva bientôt dans une rue commerçante et gara sa voiture sur le bas-côté. Le 4x4 de Jim continua sa route pour aller s'arrêter un peu plus loin. Ils eurent le temps de voir le libraire entrer dans un McDonald. Blair ne put s'empêcher de commenter:

— Drôle d'endroit pour venir prendre son petit déjeuner, cet homme ne doit pas mener une vie très saine.

— Ce n'est pas le moment, suivons-le!

En passant devant la vitrine, Jim jeta un coup d’œil: leur suspect était en grande discussion à une table avec quelqu'un, qu'il ne voyait que de dos, mais qui ressemblait beaucoup à leur meurtrier.

— Ce serait donc Fulkerson? C'est vraiment trop facile, je l'aurai cru plus prudent. Ce n'est peut-être pas lui, c'est peut-être un piège?

Ils n'étaient qu'à quelques mètres et étaient quasiment seuls dans le restaurant. Concentrant ses sens, Jim tenta d'écouter la conversation des deux hommes. Il sentit la main de Blair se poser dans son dos pour l'aider, comme à son habitude, et se sentit rassuré. La première phrase qu'entendit Jim lui permit instantanément d'en être sûr: c'était bien Fulkerson, c'était bien sa voix. Mais ce qu'il dit le surprit, car il s'adressait à lui directement. Comme s'il savait que Jim écoutait, comme s'il avait deviné sa présence et sa surveillance.

— Bienvenue, Ellison, je savais que tu reviendrais me voir.

En disant cette phrase, Fulkerson se leva lentement de sa chaise et se retourna pour leur faire face, un sourire méprisant sur les lèvres et les yeux brillants de jubilation. Blair poussa un cri en le reconnaissant:

— Jim! C'est lui! Et il nous a vus! Vite, Jim, il faut le rattraper tout de suite!

— ...

— Jim? Non... non ne me dis pas que tu nous fait encore un zone-out? Jim!

Blair commençait à s'affoler en voyant son ami, immobile, fixer son ennemi sans réagir. Il n'avait fait que concentrer son ouïe sur lui et cela avait suffi à le faire zoner. Sans doute était-il trop fatigué, ou trop nerveux, mais quelle qu’en soit la raison il fallait le sortir de cet état le plus vite possible car la situation était critique. Blair secouait son ami, essayant de l'atteindre par des paroles douces, mais rien ne fonctionnait, et Blair ne se sentait pas capable de s'occuper du criminel à lui tout seul. En désespoir de cause, et tout en surveillant du coin de l’œil un Fulkerson toujours souriant et immobile, comme s'il savait qu'il ne risquait rien, Blair composa le numéro du central pour demander des renforts.

Jim ne voyait rien de tout ça, il savait qu'il était en train de zoner, il se sentait comme absorbé par son observation, à tel point qu'il ne voyait plus ce qui se passait, mais ressentait chaque détail, chaque battement de cœur, chaque rayon de lumière, la moindre odeur, de façon si précise et si intense qu'il se noyait dans ses sensations.

C'est pourquoi il ne vit pas Fulkerson sortir un revolver sans se départir de son sourire. C'est pourquoi il n'entendit qu'à des kilomètres de lui le cri de Blair qui, lui, avait vu l'arme. C'est pourquoi il ne sentait toujours pas son ami le secouer pour le sortir de sa torpeur. C'est pourquoi il n'entendit pas les cris de terreur des témoins de la scène.

C'est pourquoi il n'entendit pas les coups de feu partir.

Un lit d’hôpital. Encore un. Mais cette fois-ci, c’était lui qui était allongé dedans. Jim ne comprenait pas encore ce qui lui était arrivé, tout était flou dans son esprit. Mais il sentait une main serrant la sienne. Blair ? Non, ce n’était pas Blair. Péniblement, il sortit de sa torpeur pour ouvrir les yeux. Le monde réel l’agressa par sa luminosité, mais il finit par reconnaître Simon à son chevet. Sa bouche encore un peu pâteuse, il parvint à articuler doucement :

— Simon ?

Le capitaine sursauta en entendant son ami maintenant réveillé.

— Tu… tu ne te rappelles pas ? Repose-toi encore un peu, ne force pas tes souvenirs, tu es encore faible.

Jim ferma les yeux et essaya de se relaxer. Il passa en revue méthodiquement toutes les parties de son corps, contractant tour à tour légèrement chacun de ses muscles, mais ne sentit de douleur nulle part.

— Je me sens bien, Simon, je ne suis pas blessé n’est-ce pas ? J’ai un peu les idées embrouillées, c’est tout. Raconte moi donc ce qui s’est passé.

— C’est vrai, tu n’es pas blessé, tu as juste perdu connaissance un long moment…

En disant cela, Simon baissait les yeux, mais Jim, à présent bien éveillé, remarqua l’air étrange de son capitaine. Comme s’il avait… pleuré ? Pourtant, il venait de lui dire qu’il n’avait rien de grave… Mais on était à l’hôpital… est-ce que Megan… Ne pouvant rester dans le doute plus longtemps, Jim serra à son tour la main que Simon avait laissé dans la sienne et raffermit sa voix :

— Simon… Tu ne m’as pas tout dit… Est-ce que Megan.. ?

— Non ! Megan va bien, aussi bien qu’hier !

Surpris par la réponse vive de son ami, Jim eut un mouvement de recul, pendant que Simon se levait brusquement et s’éloigna vers la fenêtre, en lui tournant le dos. Jim ne comprenait pas cette réaction, quand soudain une pensée traversa son esprit : pourquoi n’était-ce pas Blair qui était à son chevet ? Cette idée suffit à lui faire envisager le pire, et il en vint rapidement à la conclusion que Blair avait été blessé, et que Simon était ému pour cette raison. Pourtant Jim n’osait pas encore lui demander des éclaircissements, il voulait d’abord se souvenir de ce qui s’était passé. Il était parti arrêter un criminel avec Blair sans doute, et il leur était arrivé quelque chose… Il n’arrivait pas à se concentrer, car inconsciemment il tentait de repérer son guide à travers l’hôpital en recherchant le son familier des battements de son cœur. Il se souvenait de Fulkerson… qui le regardait fixement… il ne se souvenait de rien d’autre, il avait zoné sur cet homme et ensuite, plus rien. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas perdu à ce point le contrôle de ses sens, au point de perdre connaissance… Mais bon sang, où était Blair ? C’est à cet instant qu’il s’aperçut que non seulement il ne parvenait pas à entendre son guide, mais il n’arrivait même pas à étendre ses sens au delà du seuil normal. Le zone-out l’avait-il à ce point déréglé ? La sentinelle se sentait perdue sans contrôle sur ses sens, et encore plus sans la présence de son guide…

— Simon… S’il te plaît…

Jim avait parlé d’une voix faible et apeurée, reflétant son angoisse et son début de panique, mais il se fichait d’avoir l’air si perdu devant Simon, il avait besoin d’aide. Il avait besoin de Blair. Simon cessa d’observer les immeubles et l’horizon et se retourna pour faire face à son ami :

— As-tu retrouvé la mémoire, Jim ?

— Un peu… Je me souviens de Fulkerson, puis du zone-out… et ensuite plus rien… Où est Blair ? Pourquoi n’est- il pas là avec moi ? Il lui est arrivé quelque chose ? Simon, je t’en prie, réponds-moi !

Simon se rapprocha du lit d’hôpital, il se rassit sur sa chaise et prit de nouveau la main de Jim dans la sienne. Il lui parla doucement, très doucement, mais Jim percevait derrière la gentillesse du ton un autre sentiment que le capitaine tentait de lui dissimuler.

— Il ne peut pas venir te voir, Jim. Il faut que tu t’en sortes tout seul cette fois… Tu ne dois pas toujours compter sur lui pour t’aider…

De la tristesse ? Pas seulement, Jim sentait que son capitaine était triste, c’est vrai, très triste, mais pas seulement. On aurait dit qu’il était… en colère contre lui. Jim se sentait encore plus perdu, jamais Simon ne s’était comporté de cette manière avec lui. Il ne comprenait pas ce qu’il lui disait, tout ce qu’il voulait savoir c’est où était Blair, comment il allait, et s’il pouvait aller le voir. Son impatience grandissait avec sa peur, s’il continuait à lui faire la morale au lieu de lui répondre, il allait partir à la recherche de son guide lui-même.

— Cesse de tourner autour du pot, Simon, ça ne sert à rien. S’il est au plus mal dis-le moi franchement, ne me laisse pas dans l’inconnu comme ça ! J’ai besoin de Blair, pas de tes remontrances !

— Besoin de lui ! Tu dis que tu as besoin de lui !

A nouveau, Simon s’était levé de sa chaise, mais cette fois il ne détournait pas les yeux, il ne lui tournait pas le dos. Et Jim pouvait voir dans ses yeux toute la colère qui était dirigée contre lui, cela lui faisait mal, mais surtout cela lui faisait peur.

— Comment peux-tu dire que tu as besoin de lui ? Je ne te croyais pas si égoïste ! Tu disais que tu maîtrisais tes sens, que ce n’était plus dangereux, qu’il n’y aurait plus jamais de problème ! Foutaises ! Tu as carrément perdu connaissance pendant que ce salaud dégainait son arme ! Tu es inconscient Ellison, tu es un irresponsable ! A cause de toi il est mort ! Tu l’as tué, Jim ! Tu as tué Blair !

Et il s’écroula sur sa chaise, cachant son visage dans ses mains pour laisser couler ses larmes après avoir laissé exploser sa colère.

Jim ne saisit pas tout de suite la portée de ce qu’il venait d’entendre. Blair avait été blessé à cause de son zone-out, voilà tout ce qu’il avait compris. Les souvenirs se remettaient en place dans son esprit : il savait que pendant son enquête sur Fulkerson, il avait eu plus de problèmes sensoriels que d’habitude , et qu’il avait même fait un léger zone-out lors de son arrestation. Il avait pensé au début que c’était de la fatigue, mais peut-être était-ce une espèce d’allergie à l’odeur de cet homme, ou quelque chose comme ça ? Il faudrait que Blair fasse des tests pour le déterminer. Il se souvenait d’avoir retrouvé le tueur dans un fast-food, et qu’il avait commencé à se sentir perdre contrôle lorsqu’il s’était retourné pour leur faire face. Il lui avait parlé, " Bienvenue Ellison ", ou une raillerie de ce genre, et ensuite le flou total. Dans un espèce de brouillard visuel et sonore, il comprit que l’homme continuait à lui parler. Il entendait aussi, comme à des kilomètres de distance, Blair qui criait. Sans doute pour essayer de le faire sortir de son zone-out. Il se rappelait avoir tenté de se concentrer sur son guide pour revenir à lui, d’isoler sa voix, son visage, son odeur, le contact de ses mains, qu’il soit un phare au milieu de ce tourbillon sensoriel. Mais ensuite, un bruit de tonnerre lui déchira les tympans, et un instant plus tard il réalisa que son équilibre avait changé. Il lui fallut quelque secondes pour réussir à analyser les sensations déformées qui lui parvenaient, mais il finit par déterminer qu’il était allongé sur le sol. Il était sans doute tombé ? Mais il savait qu’il ne risquait rien, il ne se ferait pas écraser par un camion ou quoi que ce soit, car son guide était avec lui. Il sentait Blair tout proche de lui, il avait réussi à se focaliser sur lui et seul son ami existait à cet instant. Il sentait le parfum de ses cheveux sur son visage, la chaleur de son corps près du sien…

— Simon, je me souviens de ce qui s’est passé… Ca commence à revenir… J’ai zoné devant Fulkerson, encore une fois. Il s’est enfui ?

Banks sembla étonné par la question. Il se renfonça dans sa chaise et lui répondit d’une voix calme. Il ne semblait plus du tout furieux, comme si avoir tout laissé sortir hors de lui avait suffi à apaiser sa colère.

— Non, les coups de feu ont attiré une patrouille de quartier qui ont réussi à l’arrêter. Il est de retour en prison maintenant, et sous bonne garde…

— Les coups de feu ? Quels coups de feu ? !

Simon ouvrit des yeux ronds à la question de son ami, et comprit soudain qu’il n’aurait dû rien dire, qu’en réalité Jim n’avait rien compris, et ne se souvenait de rien. Pendant ce temps les pièces du puzzle se mettaient finalement en place dans l’esprit de Jim. Le bruit de tonnerre qui lui avait fait perdre son équilibre étaient en fait des coups de feu que Fulkerson avaient tirés sur lui. Mais s’il n’avait aucune blessure, pourquoi s’était-il donc retrouvé allongé au sol ? Blair était allongé sur lui, il l’avait sans doute projeté à terre pour le protéger. Et ensuite ? Il savait que son guide lui avait parlé sans s’arrêter dès qu’il était entré dans son zone-out, car même s’il ne comprenait pas ses paroles, le son apaisant de sa voix suffisait généralement à refocaliser ses sens. Pourtant il avait perdu complètement connaissance, cela ne lui était jamais arrivé. Remontant un peu plus dans ses souvenirs, Jim parvint à reconstituer la scène, de la façon distordue dont il l’avait vécue. Blair qui lui parlait doucement, puis plus fort, puis qui criait. Il ressentait la peur dans sa voix. Puis les sons assourdissants. Puis son guide lui parla à nouveau, il prononça son nom. Puis il ne dit plus rien. Etait-il allé aider les policiers ? Non, il était toujours près de lui, il sentait son poids sur sa poitrine, son odeur près de son visage, son cœur qui battait non loin du sien… Non, quelque chose n’allait pas dans cette reconstitution. Il manquait un élément. Les battements de son cœur, il ne les entendait plus.

En un instant, le monde parut se précipiter sur Jim et s’écrouler sur lui. Les paroles de Simon atteignirent enfin son cerveau, et la Sentinelle ne pouvait que se rendre à l’évidence que le lien vital qu’il ressentait toujours, où qu’il soit, entre lui et son guide, était à présent rompu. Pas besoin de demander des preuves ou de nier les faits, une sentinelle savait toujours tout sur son guide. Blair n’était plus là. Blair était mort. Il avait cru que cette fois encore tout irait bien mais il n’avait pas su le protéger, il était mort à cause de lui. Il avait tué son guide, son ami, Blair.

Ce qui se passa ensuite n’était pour Jim qu’un immense hurlement de douleur qui ne pourrait jamais s’éteindre. C’est à peine s’il perçut Simon qui lui parlait encore, ou l’infirmière qui vint lui faire une injection. Ils réussirent à le faire dormir, mais de toute façon Jim s’en fichait, il voulait mourir.

Quatrième nuit.

Quand Jim retrouva ses esprits, il était à nouveau dans la clairière, vêtu à la péruvienne. Rien n’avait changé, et sa panthère était toujours allongée sur le sol, immobile.

— Est-ce que cela signifie que je suis mort ?

Il n’eut pas le temps de terminer sa pensée quand il s’aperçut que le loup était lui aussi toujours là. Il tournait autour de la panthère.

— Mais si le loup de Blair est vivant… Non, c’est impossible, je sais qu’il est mort, je l’ai senti disparaître… Est-on au paradis ? Si on pouvait être réunis au paradis… je ne demande rien d’autre…

Comme pour répondre à son souhait, le loup cessa de s’occuper du félin et s’approcha de lui. Il changea de forme, son pelage se transformant en tissus, en cheveux bouclés, ses pattes devenant des mains, son museau prenant l’aspect d’un visage. Le loup devint un shaman, et le shaman accroupi se mit debout face à Jim. C’était Blair. La sentinelle sentit la joie l’envahir : il avait bel et bien rejoint son guide au paradis, le paradis des sentinelles était le monde spirituel ! Ils étaient de nouveau ensemble, ils seraient toujours ensemble ! Ou alors il avait perdu l’esprit, et tout ceci n’était qu’un rêve… Quoi qu’il en soit, il préférait mille fois être avec Blair dans un monde imaginaire que continuer à vivre seul dans un monde réel où chaque objet et chaque personne ne cesseraient de lui rappeler sa terrible erreur…

Mais avant qu’il n’ait pu dire à son ami combien il était heureux de le retrouver, et en même temps mortellement désolé de ne pas l’avoir sauvé, Jim vit que Blair lui parlait. Il lui parlait avec agitation, ses mains volaient devant lui, désignant tour à tour la panthère et la sentinelle, il le regardait les yeux brillants d’angoisse, mais Jim n’entendait rien. Aucun son ne sortait de sa bouche, comme un film dont on aurait coupé le son. Jim essaya de parler à son tour mais Blair secouait la tête comme pour rejeter ses paroles et reprenait son discours. Il se dirigea vers la panthère, s’agenouilla près d’elle, et Jim put lire sur les lèvres de son guide qu’il appelait son prénom : Jim ! Jim ! C’était trop pour lui, les mystères symboliques de ce monde shamanique l’avaient toujours dépassé, et si même Blair ne pouvait pas communiquer avec lui…

Tous deux détournèrent subitement le regard lorsqu’ils entendirent le corbeau pousser ses cris stridents en s’envolant de sa branche. La bête se mit à piquer vers le sol, comme pour attaquer la panthère évanouie. Blair se remit debout sur ses pieds, et les bras en croix se plaça devant la panthère pour la protéger. Dans un flash, la sentinelle vit une autre image se superposer à celle-ci : il revit Fulkerson pointer son arme sur lui, et Blair se jeter sur son ami pour tenter de le réveiller et pour le protéger. La suite il la connaissait : il n’était pas sorti de son zone-out, Fulkerson avait tiré, et Blair était mort. La même scène se répétait sous ses yeux : même dans le monde spirituel, Fulkerson était toujours là ! Mais cette fois-ci ce serait différent, il ne laisserait pas Blair souffrir à sa place, il ne resterait pas endormi à laisser son ami mourir.

Toute cette réflexion s’était passée en un clin d’œil, et à l’instant où Jim décidait d’agir, la panthère ouvrit enfin les yeux, et rapide comme l’éclair elle bondit devant Blair, tous crocs dehors et feulant comme un prédateur à la chasse. Ni le shaman, ni la sentinelle, ni même le corbeau n’eurent le temps de réagir : la panthère sauta dans les airs et saisit en vol l’oiseau qui les menaçait. Jim crut entendre des craquements d’os, et ne douta pas que le corbeau ne survivrait pas à une telle attaque. La panthère laissa tomber le corps emplumé et sanglant sur le sol, délaissant complètement sa proie pour revenir se placer aux côtés de Blair. Celui-ci posa sa main sur la tête de l’animal, et, se tournant vers Jim encore abasourdi, lui dit :

— Reviens vers moi, Jim…

Chapitre 5.

Cinquième jour.

Jim sentit qu’il se réveillait. Il retrouvait les sensations de son corps, il était allongé dans un lit. Le rêve était terminé. Il voulait pourtant rester avec Blair, il avait décidé de rester pour toujours avec lui dans le monde spirituel, pourquoi fallait-il qu’il retourne dans le monde réel, à quoi bon reprendre cette vie qui n’avait plus de sens ?

— Jim, tu es réveillé ?

Il décida de faire semblant de n’avoir pas entendu la question de Simon. Il devrait pouvoir réussir à se rendormir, et en se concentrant suffisamment cette fois il pourrait rester dans la jungle… L’esprit de Blair n’était pas mort, il l’avait rencontré, et la perte de son guide se faisait moins cruellement sentir en sachant qu’il pouvait le rejoindre définitivement…

— Jim, allez, reviens vers moi Jim.

Il entendait encore la voix de Blair le rappelant vers lui. Il semblant si réel, si vivant… A ce moment-là il regretta de n’avoir jamais voulu suivre les conseils de son guide qui voulait lui apprendre la méditation pour rejoindre le monde spirituel à sa guise. Il réalisa également qu’à chaque instant il avait besoin de lui, et ne put retenir un faible appel :

— Blair…

— Oui, Jim, je suis là, ouvre les yeux… Jim !

Mais… Cette phrase ne faisait pas partie de ce qu’avait dit le shaman dans son rêve. Qu’est-ce qu’elle signifiait ? La voix de Blair reflétait un état de joie intense à peine contenue, alors qu’il était si triste et effrayé dans le monde spirituel… Jim ne comprenait plus rien, peut-être qu’il devenait complètement fou et entendait des voix ?

— Bon sang, ouvre les yeux Ellison, je sais que tu es réveillé !

La voix bourrue de Simon brisa toutes les réflexions de Jim. Evidemment, c’était la voix de Simon qu’il avait entendu tout à l’heure, mais comme il sortait à peine de son rêve, il avait confondu… bien qu’elles ne se ressemblent pas vraiment. Il ouvrit les yeux pour expliquer à son capitaine qu’il ne voulait plus jamais se réveiller et qu’on le laisse tranquille.

Il n’eut pas l’occasion de commencer sa phrase et resta bouche bée, les mots coincés au fond de sa gorge, lorsqu’il réalisa qu’il était chez lui, dans son lit, Simon assis sur une chaise près du lit, et… Blair sur le lit, près de lui, ou plutôt Blair en train de hurler son nom et de se jeter sur lui.

— Jiiiiiiiiiiiiiim ! Enfin, je savais bien que tu finirais par revenir ! Jiiiim…

Le reste de sa phrase disparut étouffée car le jeune homme serrait son ami dans ses bras de toutes ses forces comme s’il craignait de le voir s’envoler. Jim s’assit dans son lit et passa les bras autour de Blair en essayant de comprendre ce qui se passait

— Grand Chef ? Tu pourrais s’il te plaît me serrer moins fort et me dire où on est ? C’est ça, le paradis ? Je suis mort ? Ou bien Simon m’a menti, et c’est toi qui est vivant ?

Blair releva la tête en desserrant un peu son étreinte et regarda Jim avec de grands yeux étonnés. Simon s’était levé en entendant prononcer son nom et se mit à tonner :

— Comment ça je t’ai menti, qu’est-ce que c’est que ces histoires encore ? Pour qui me prends-tu, Ellison ?

Blair sourit, libéra Jim et regarda ses amis tour à tour :

— Je crois que nous avons tous besoin d’une petite explication…

Il se redressa un peu à son tour, mais resta assis sur le lit, le dos appuyé au mur. Jim réalisa que son ami était dans son lit mais il avait bien d’autres questions bien plus importantes à poser. Heureusement, Blair prit la parole, et le professeur démontra ses dons en captivant son public par l’explication qu’il leur fournit.

— Jim, tu n’as pas l’air de l’avoir réalisé, mais tout ce que tu as vécu ces derniers jours n’existe pas. Le soir de l’arrestation de Fulkerson, tu t’es endormi, et cela fait trois jours que tu ne t’es pas réveillé.

— Trois jours ? Mais qu’est-ce que tu racontes, j’étais parfaitement réveillé !

La protestation de Jim n’était pas très convaincante, car en même temps il était complètement perdu et ne comprenait pas que Blair soit vivant, et qu’ils soient chez eux et non à l’hôpital.

— Tout ce que tu crois avoir vécu était une illusion créée par Fulkerson. Tu as vraiment cru que c’était la réalité ?

— Eh bien, c’est vrai qu’à certains moments, j’avais des sensations étranges, et il y avait tous ces rêves, mais… ce qui est arrivé à Megan… et à toi… C’est impossible, ce n’était qu’un rêve, c’est bien vrai ?

Blair sourit et rassura son ami :

— Megan va bien, je vais bien, ne t’inquiète pas. Ces rêves que tu faisais étaient le seul moyen pour que j’entre en contact avec toi. Grâce à la méditation, j’ai pu entrer dans tes rêves et te faire revenir à la réalité. Tu as mis du temps à t’éveiller, tu n’es pas très doué pour comprendre les rêves, il faut vraiment que je te donne ces leçons…

— Hé, Grand Chef, c’est toi le shaman, moi je ne suis pas versé dans toutes ta métaphysique fumeuse !

— C’est pourtant ça qui t’a sauvé la vie.

Le rire de Simon fit cesser leur chamailleries :

— Je vois que tout est revenu à la normale pour toi, Jim, je suis rassuré sur ton état, je vais pouvoir rentrer chez moi. A cause de toi j’ai perdu mon week-end à la pêche, tu sais…

— Simon ! Vous ne le pensez pas vraiment, ce n’est pas sa faute !

Le capitaine ignora les protestations de Blair et s’était déjà levé pour descendre les escaliers quand son portable sonna. Il s’excusa, et Blair et Jim reportèrent toute leur attention l’un sur l’autre.

— Je n’ai pas encore tout compris… Pourquoi ai-je vécu cette illusion, comment est-ce possible ? fit Jim, encore un peu incrédule. C’est un zone-out qui a mal tourné, ou quoi ?

— Hum, pas vraiment… répondit Blair. Apparemment Fulkerson a beaucoup étudié l’hypnotisme, et il a dû vouloir se venger de toi en t’hypnotisant quand tu l’a arrêté. Je me souviens que vous êtes resté quelques instants à vous regarder dans les yeux sans rien dire, mais sur le coup j’ai pensé que tu étais fatigué et que tu commençais un zone-out… Quand tout le monde est parti, en emmenant le prisonnier, et j’ai essayé de te réveiller, mais je n’ai pas réussi. J’ai demandé à Simon de m’aider à te ramener discrètement à la maison pour pouvoir m’occuper de toi, je pensais au début que c’était un simple zone-out prolongé… Si j’avais su…

— Comment aurais-tu pu savoir, Blair ? Tu es en train de me dire que ce mec m’a ensorcelé par de la magie noire ou je ne sais quoi, et qu’on aurait dû le savoir à l’avance ? Les mystiques comme toi ne sont pas si nombreux tu sais, et de toute façon je ne t’aurais jamais cru… enfin, jusqu’à maintenant…

— Mais on aurait pu le découvrir, Jim. Il pratiquait régulièrement ce genre d’attaque, contre les gens qu’il n’aimait pas, mais le résultat se limitait à quelques mauvais rêves, ou dans le pire des cas des hallucinations. On avait des témoignages dans ce sens, mais les gens, ne croyant pas du tout à l’hypnotisme, se contentaient de dire que cet homme leur faisait froid dans le dos, ou que le seul fait de le rencontrer leur faisait faire des cauchemars. On avait pris ça comme une métaphore pour dire qu’ils ne le supportaient pas, mais c’était bien réel.

Blair semblait s’en vouloir énormément de n’avoir pas fait le rapprochement entre ces témoignages et le pouvoir de leur suspect, mais Jim restait sceptique.

— Il y a quand même une différence énorme entre mettre mal à l’aise son percepteur rien qu’en le regardant, et faire tomber un flic dans le coma pendant 3 jours pour lui faire vivre une illusion cauchemardesque… Jamais on n’aurait pu prévoir une chose pareille…

— C’est là que tu te trompes, Jim ! Tes sens hyper développés te rendent beaucoup plus sensible à la suggestion que n’importe qui ! La malédiction était si fortement implantée en toi, qu’au lieu de faire un simple cauchemar tu es entré dans une illusion complète qui t’a totalement coupé du monde réel !

Jim n’aimait pas trop l’enthousiasme qu’il entendait dans la voix de son ami.

— J’espère que tu ne comptes pas faire des tests sur moi à ce sujet… lui dit-il en fronçant les sourcils.

— Heu… on verra plus tard. Blair tenta de détourner le sujet de la conversation, mais il ne pouvait s’empêcher de sourire en pensant à tout ce qu’il pourrait faire avec un Jim hypnotisé sous son contrôle.

— Blaiiiiir ? dit Jim d’une voix grondante.

Le shaman reprit bien vite son sérieux, de crainte que son ami n’ait vraiment lu dans ses pensées.

— Donc, j’ai trouvé le moyen de te contacter en passant par le monde spirituel. J’essayais de te donner des indices pour t’expliquer que tu étais dans le coma et que tu devais revenir vers la réalité…

— Pourquoi tu ne me l’a pas dit clairement alors ?

— Tu sais, on ne fait pas ce qu’on veut là bas, j’ai eu beaucoup de mal à t’apparaître sous forme humaine, ne m’en demande pas trop. En tout cas, ça a marché, tu as fini par comprendre !

Blair était très fier de son stratagème, et Jim n’eut pas le courage de lui révéler tout de suite qu’en fait il n’avait rien compris au message que son ami voulait lui faire passer, et que c’était simplement le désespoir qui lui avait permis de quitter le monde de l’illusion. Ils auraient le temps d’en rediscuter plus tard, il fallait qu’il lui raconte tout ce qu’il ressentait pour lui, tout ce qu’il avait réalisé quand il avait cru le perdre. Mais ce n’était pas encore le moment, il n’était pas prêt.

Simon réapparut à ce moment, il venait de terminer sa conversation téléphonique.

— Vous ne devinerez jamais ce qui vient d’arriver : Fulkerson est mort. C’est arrivé soudainement, il était endormi dans sa cellule, et soudain il a poussé un cri, et c’était fini. Les médecins de la prison disent qu’il a fait un anévrisme… C’est dommage qu’il échappe à la prison ainsi, fit Simon qui ne pouvait pas ressentir de pitié pour un assassin. Enfin, puisque tu vas mieux, je vais pouvoir retourner au travail. Je vous donne un jour de congé pour vous en remettre.

— Merci, Simon, répondit Jim mécaniquement. Il réfléchissait à ce qui était arrivé à Fulkerson.

Blair reconduisit le capitaine à la porte, et revint vite vers son ami.

— Eh bien Jim, encore plongé dans tes pensées ? Après trois jours de sommeil je pensais que tu te lèverais d’un bond, plein d’énergie ?

Blair ne garda pas longtemps le ton de la plaisanterie quand Jim lui répondit d’un ton très sérieux.

— Dans le monde spirituel, il y avait ce corbeau qui nous attaquait… La panthère noire l’a tué peu avant que je me réveille… C’est à dire, au moment où Fulkerson est mort… Tu crois que…

— J’y ai pensé aussi, Jim. Peut-être que les deux événements sont liés, mais on ne peut pas en être sûrs. Peut-être a-t-il eu accès au monde spirituel, et tu l’as tué là-bas, peut-être n’est-ce qu’une coïncidence…

— Une coïncidence, hein… fit Jim, qui n’avait jamais entendu Blair défendre la thèse d’une coïncidence, surtout dans le domaine du surnaturel.

Mais il n’avait pas envie de se lancer dans ce débat. Après tout, s’il avait tué l’homme qui l’avait fait tant souffrir, et qui en plus était un criminel, et bien tant mieux. Pour l’instant, il fallait qu’il reprenne pied dans la réalité, et c’était sans doute pour ça que Blair préférait laisser l’étude de ce cas de côté, pour l’instant.

— Dis, Grand Chef, ça fait trois jours que je n’ai mangé que de la nourriture spirituelle, j’ai bien envie de me descendre quelques Burgers…

— Quoi ? Au petit déjeuner ! Mais ça ne va pas, non, tu penses à ta santé des fois ? cria Blair, qui jouait la colère mais qui en fait était très heureux que son ami soit redevenu lui même.

Il décida de consacrer cette journée à Jim, il décommanderait son rendez-vous avec Jessy, ce qu’il avait déjà fait tout le week-end, ainsi que ses cours à l’université. Après tout, ils allaient avoir beaucoup de choses à se raconter et de temps à rattraper ensemble. Les deux amis quittèrent le loft en riant, heureux de reprendre leur vie normale.

Cinquième nuit.

Cette nuit-là, Jim dormit d’un sommeil de plomb et ne visita pas le monde spirituel. Quant à Blair, il a finalement été obligé d’aller au rendez-vous de Jessy, et ce serait indiscret de vous dire s’il a dormi ou non…

Fin.